Monsieur,
Je roulais à vélo le long du canal qui va de Nantes à Brest. J’étais léger, un peu hors sol, le paysage est si beau, tellement paisible. En m’approchant de l’écluse 141, j’ai aperçu un gendarme. Il était descendu de son véhicule et prenait le cours d’eau en photo, avec son téléphone portable. J’ai trouvé l’image charmante. Et puis je vous ai vu. Vous étiez là, debout, pas vraiment sur le chemin de halage, pas vraiment au bord de l’eau. Vieil homme en attente, qui regarde passer les cyclistes. Je vous ai dit bonjour, vous avez répondu de même, en baissant les yeux. Derrière vous, il y avait des camionnettes de la gendarmerie. Une équipe de plongeurs. Des gyrophares allumés. Dans mon élan, je les ai à peine distingués.
Si le gendarme prenait des photos, ça n’était pas pour la beauté du paysage. Un drame se jouait là. J’ai continué mon chemin.
Plus loin, en discutant avec des gens, j’ai appris qu’un cadavre avait été découvert au niveau de l’écluse 141.
Monsieur,
Je ne sais pas si vous avez perdu quelqu’un ou bien si vous avez découvert une dépouille flottant dans les eaux. Vous aviez l’air si triste et égaré derrière votre épaisse moustache grise. Je sais bien que cela ne vous soulagera en rien, mais sachez que, quelle que soit la nature de votre peine, j’en ai pris une petite part. Et je l’ai emmenée avec moi, plus loin.
Sur les berges du canal qui va de Nantes à Brest.
