Quand tu te promèneras le long du canal qui va de Nantes à Brest, mon ami, tu verras des écluses. Tapies dans la verdure, parfois actives, souvent oubliées, elles sont des crocodiles de pierre aux dents de fer, immobiles, scrutant patiemment la surface des eaux calmes.
Tu croiseras, sans doute, nombre de cyclistes. Des vieux électrifiés qui avancent à allure constante. Des voyageurs au long court surchargés de leurs besoins de campeur. Des aguerris aux tenues publicistes et aux épaules frondeuses. Des familles tout sourire, tirant des chiens en charrette. Tu rencontreras des couples de belges chaleureux et des irlandais pétillants. Et tu dépasseras d’autres écluses joliment fleuries.
Le long du canal, tu verras aussi des platanes respectables, sur les troncs desquels s’accrochent des champignons en forme de brioche. Tu frôleras d’anciennes maisons d’éclusiers, certaines occupées, d’autres à l’abandon. Tu devineras, au passage, la vie qui s’est établie là. Et tu l’envieras, un petit peu, juste le temps de t’en éloigner.
Tu verras des nénuphars, et des hérons, et des canards, et encore des écluses en série, comme un immense jeu d’eau, une fontaine ambitieuse.
Quand tu rouleras, à ton tour, le long du canal qui va de Nantes à Brest, mon ami, tu passeras par Pontivy. Peut-être, comme moi, te feras-tu insulter par un jeune piéton irascible qui n’aura pas supporté ton petit coup de sonnette. Peut-être, lui aussi, s’en prendra-t-il à ta mère et voudra-t-il te casser la figure. Qu’à cela ne tienne, mon ami, poursuit ton chemin, malgré l’envie d’en découdre. Celui-là ne pèsera pas lourd face à tous les « bonjour » échangés, et les sourires, et les encouragements.
Pense tout de même à t’arrêter, de temps en temps. Et dis-toi que, quelle que soit ton allure, tu iras toujours plus vite que le courant.
